Je ne vois rien. Je n'entends rien. Et pourtant, je sens que quelque chose rayonne en silence. Je sens que quelque chose hurle, crie, se déchire. Brumeuse, trop jeune, j'avance l'esprit ailleurs dans cette maison aux allures démesurées. Je ne suis qu'un enfant. Je ne suis pas grand chose. Et je me confronte à cette immensité saisissante des grandeurs et espaces vides de la demeure. J'avance, difficilement. Je laisse traîner mon bras sur les murs. Je veux sentir les obstacles. Je veux qu'on me guide, mes pas n'en sont pas capable. Il doit être beaucoup trop tôt, ou beaucoup trop tard. Mais je me suis levée trop vite, et j'ai perdu tous repères : la brume de mes rêves clos mes yeux usés par tant de rêveries, la brume de mes rêves s'abat sur la réalité.

J'avance et je trébuche. Ma vie devient chaque matin un conte de fées urbain. Je suis une Princesse, je suis un Personnage. Je suis à la découverte du Royaume et de ses Princes. J'avance et je découvre. Je vis dans un monde de merveilles. Je vais doucement, pour de ne pas réveiller le monstre endormi. J'avance doucement, laissant mes pas s'étouffer dans les tapis. Le sourire que forment mes lèvres se déforme en un chant joyeux. Je ne sais pas ce que je chante, les paroles sont françaises, mais la mélodie m'émeut. J'avance et je chante. Je me laisse envahir par toutes ces beautés sensorielles. Le silence, délicieux ; les couleurs, rayonnantes ; les objets, fabuleux. J'avance et je regarde. Tous ces objets me passionnent. Ils sont là depuis toujours, ils sont là, chez moi, décorent ma maison, et je ne les reconnais pas. Les hauteurs sont trop acérées pour que je puisse tous les toucher. Le charme de la fragilité semble flotter dans les airs. Je n'ose pas les approcher. J'avance. J'avance et reconnais sur mon chemin ce vase bleuté que maman a disposé hier. Je m'arrête. Les lignes sont envoûtantes. Les couleurs sont outrageuses : elles me crient de m'arrêter et de me noyer en elles. Du bleu. Simplement bleu. Et pourtant... Du bleu qui vague, qui vogue, du bleu qui bulle. Des formes inconnues, des formes que l'on dit orientales et charnelles ; je l'accepte. Du bleu fragile et ostentatoire sur du blanc de porcelaine. J'approche mes petits doigts tremblant ; ils n'osent pas se poser sur ces courbes, ils ont peur du contact. Chaque approche semble faire résonner les plaintes de maman « On ne touche pas à ça ! ». Je m'éloigne brusquement. Déroutée, j'oublie mon chemin, je m'accroche à la rampe de l'escalier, caressant le bois poli. Je sens que mon corps a faim. Il sent très bien que cet univers pâle, poli, fragile, d'une douceur exotique et dangereuse n'est pas fait pour sa présence. Tous ces bleus, tous ces blancs, toutes ces porcelaines, ça doit être pour les grands. Alors je me laisse tomber, je dévale les escaliers avec une douceur candide. Un jeu se créer. Un pas comme ça, et l'autre comme ça. On recommence. Et sans tomber.

Je suis arrivée à la salle à manger. Les couleurs m'agressent. La vivacité de la lumière émanant directement du jardin me brûle. Je n'aime pas ça, la lumière, la trop forte clarté. Je préfère les douces obscurités. Mais la découverte ne m'a pas quitté, je suis toujours une belle Princesse. Une jeune Princesse qui s'émerveille devant les couleurs à table. Tout est blanc. Tout est argent. Tout est cristal qui resplendit et s'arc-en-ciel grâce au soleil. Tout bouge. Les ombres, les lumières. Tout s'intensifie. L'orange de mon pamplemousse devient agressif lorsque je le pose sur mon assiette si blanche. Elle se fond dans la nappe. Et le pamplemousse ressort tellement qu'on le croirait sur ressorts. Je n'ose pas plonger ma cuillère dans ce cœur vivace et neigeux – trop de sucre. Je dévie le regard, m'accoude, et admire la beauté de la pièce. Tout est vide. Tout est trop remplie. Une drôle d'harmonie se laisse saisir par mon jeune esprit. Mon esprit s'endort et se réveille par un sursaut de mon corps qui se croise dans ce vaste miroir. Il m'avait échappé. Un grand miroir trône sur le mur en face de moi. Un grand miroir au cadre d'argent brillant. Tout se reflète dedans. Jusque dans le cadre poli. Ce cadre énorme semble déformer mon visage. Je prend la forme des courbes, des incurvassions, des creux sordides. Mais tout ce faste psychédélique renvoie aussi ce blanc, ce vide, ce calme intéressant qui m'ennuie doucement. Alors je baisse le regard, baisse l'attention, et plonge la cuillère dans le nuage de pamplemousse. J'en suis à ma dernière cuillerée quand je regrette cette vitesse : je n'ai rien à faire. La journée a trop vite commencée. J'ai trop vite joué, et ce jeu s'est trop vite épuisée. Je ne suis plus intéressée. La solitude me gagne. Je m'embête. Je regrette de ne pas avoir invité mon amie Barbara à s'amuser avec moi. Mais c'est toujours comme ça, je vais errer et jouer tout le reste de la journée. Je vais danser et prendre le rôle de la Princesse. Je vais prétendre être nouvelle dans ce palais et prêter attention à ce décor élaboré par les parents. Et je vais me retrouver dans le jardin, les pieds enfouis dans les herbes caressantes. Je vais tenter de m'allonger comme une grande sur ses longues chaises décoratives. Je vais m'amuser au cœur des plantes de milles couleurs. Je vais me salir en m'accrochant aux arbres. Je vais m'assoupir sous des feuilles aux formes délirantes. Et ce sera le soir, le moment où Papa rentrera, le moment où on se retrouvera à trois. On pourra manger, à la même place que tout à l'heure. On ne se racontera pas grand chose, parce que l'on se parle rarement à table. Je vais les dévisager et leur inventer une journée merveilleuse. Et en posant la cuillère de mon dessert, je vais me rendre compte que je m'ennuie encore. « J'ai huit ans, et ce n'est qu'une source d'ennui. » Mais je vais leur sourire, essayer de les prendre dans mes bras, parce que je les aime, parce que ce n'est pas de leur faute. Je vais essayer de rester avec eux lorsqu'ils rejoindront ce salon pour adultes, mais au bout de quelques minutes, ils me mettront à la porte, parce qu'il faut se coucher, parce qu'il faute se reposer. Et je me perdrais dans mon grand lit moelleux, et je me plongerais dans mon monde de rêve. Et je m'ennuierais encore à jouer les Princesses.

β Érasme Amiel a écrit:

COCO BY MISERY ANGEL

*de longues minutes à baver, avant de se reprendre*

Hum, bon choix d'avatar (a) Ce qu'on devine du caractère est particulièrement attrayant, hâte de voir ça ! Non mais c'est vrai ça, t'en connais toi des gens peu bavards, tyranniques et rêveurs tout à la fois ? Bref, ponds nous un personnage du feu de dieu Bienvenue sur Dopp, et n'hésite surtout pas à passer dans les "annonces" pour voter sur le topic d'ouverture par exemple. Et évidemment, nous sommes là si tu as une question (à part pour trouver le bottin d'avatars (a)), une revendication, ou une envie de tout acabit !

α Mia Mullberry a écrit:

Euh, IRL je suis peu bavarde, tyrannique et rêveuse c'est pas très original au fond XD.

α Mia Mullberry a écrit:

. Bref, en tous cas, sachez que ma fiche avance, même si on ne dirait pas

β Érasme Amiel a écrit:

Ca a l'air juste vraiment appétissant cette anecdote, des quelques lignes que j'en lis par curiosité ! Je me délecterai de tout ça cette après-midi