On writing

La plupart des parents sont fiers de leurs enfants et leur trouvent toujours des qualités, même là où ils n’en ont pas. Mes parents ne m’ont jamais décrite comme jolie, adorable, intelligente ou digne d’intérêt. J’étais juste vive. Oui, c’est ce qu’ils disaient toujours. « Oh Enorah ? C’est une enfant très vive. » A la façon dont ils le disaient, n’importe qui pouvait comprendre qu’ils ne le voyaient pas comme un point positif. Ce n’était même pas une consolation. Même moi je pouvais le comprendre.
Mais eux n’ont pas compris à quel point ça me blessait. Ou alors ils s’en fichaient. C’est une bonne explication. Ils se sont toujours moqués de ce qui se passait dans ma vie. C’est sans doute pour ça que je me suis barrée dès que j’ai eu dix-huit ans. Je ne dis pas que c’était forcément la chose à faire mais au moins, pendant un bref instant, j’ai cru en la liberté. J’ai cru que je pourrais être heureuse. Faut croire que j’étais vraiment naïve à cette époque. Quoi, je vais trop vite pour vous ? Reprenons depuis le début si vous préférez.

Il n’est pas donné à tout le monde de me supporter, en tout cas, pas à mes parents, même si je sais que d’une certaine façon, ils m’ont aimée. D’une façon différente et subtile, d’une façon qu’ils se refusaient à reconnaître mais je sais qu’ils l’ont fait. Quand on les interroge sur mon caractère, ils voient d’abord mes défauts. Ils disent que tout en moi est excessif, un peu comme une chanson trop remplie qui en devient étouffante. Il parait que je suis trop passionnée. Ca me rend impulsive et ça me fait agir sans réfléchir. J’écoute toujours mes sentiments, j’exagère toujours, et jamais je n’admets que j’ai tort. Trop bornée à ce qu’on dit, apparemment ça tourne à la stupidité. D’après tous les gens qui m’ont connue, je suis aussi trop franche. Je dis toujours la vérité quand on me demande mon avis et on finit par me penser cruelle quand je ne fais que bannir l’hypocrisie de ma vie. Les gens pensent que je pardonne vite parce que je ne suis pas rancunière. Ils se trompent. Les actes des gens me permettent de savoir combien ils tiennent à moi mieux que ne le feraient leurs mots. Je ne suis pas non plus jalouse, si bien qu’il arrive que les gens s’imaginent mon indifférence. Je pense simplement que je connais assez bien les gens qui comptent réellement à mes yeux pour leur faire confiance. Il fut sans doute un temps où j’ai été joyeuse mais rien ne semble désormais pouvoir arracher le triste éclat mélancolique de mes yeux. Au fond, j’ai beau me cacher derrière des sarcasmes, je ne suis qu’une âme perdue de plus.




« a long time ago, we used to be friends »

Je n’ai jamais été particulièrement à l’aise avec les gens qui se prennent au sérieux. Moi, j’ai toujours été le genre de filles marrantes qui s’y prennent à la dernière minute et qui ne se posent pas trop de questions. J’avais plutôt la belle vie au lycée. Je ne faisais pas partie des sportifs et de leur entourage, mais pas des intellos non plus –certainement pas vu mon niveau catastrophique- j’étais avec des gens à part. On n’était pas vraiment populaires mais les gens nous laissaient tranquilles. C’est tout ce qu’on demandait. On était un peu bizarres dans notre genre et les premiers de la classe n’aimaient pas vraiment la façon qu’on avait de nous réunir au fond de la salle et de parler comme dans un café –d’ailleurs, ils nous avaient clairement fait remarquer qu’on ferait mieux de se tenir à carreau mais qui s’intéresse aux menaces des gens comme ça ?- On était dans une petite ville où les rumeurs se propagent vite et elles disaient toutes invariablement la même chose : on était des gens à éviter. Ash, Shane, Garrett, Diana et moi, on avait la belle vie. On ne faisait rien d’autre que traîner en ville le soir et se balader. Mais attention, ne vous méprenez pas, on n’était pas le genre d’adolescents à problèmes qui se débrouillent toujours pour s’attirer des emmerdes et qui passaient leur temps à se droguer dans des coins sombres. Bon, d’accord, les ennuis nous poursuivaient et il nous arrivait de fumer quelques joints mais honnêtement, ça aurait pu être bien pire. Nous ne jouions pas le rôle des débauchés que les rumeurs nous prêtaient. On s’amusait à notre façon, on rêvait d’évasion, et pour le moment, ça nous suffisait. Sauf que les choses ont commencé à sérieusement déconner. Le père de Garrett avait toujours été un peu barge. Enfin, barge dans le sens très sévère. Je dis ça, j’exagère sans doute un peu, ce n’était pas non plus le genre à battre ses gosses ou quoi que ce soit. Disons qu’il avait simplement des réactions excessives. C’est comme ça que Garrett est parti en pension après que son père ait mis la main sur son herbe. On était encore quatre et on aurait pu croire que notre vie continuerait comme avant en regrettant seulement l’absence de Garrett que la pensée de retrouvailles aurait rendue supportable mais c’était sans compter le fait que le rigolo de la bande, celui qui avait toujours les idées originales et amusantes, c’était Garrett. Dès qu’on s’ennuyait et qu’il se passait quelque chose, c’était grâce à Garrett. Sans lui, la vie a commencé à devenir sacrément ennuyante. Shane et Diana, qui jouaient au chat et à la souris depuis longtemps, ont commencé à sortir ensemble et c’est à partir de là que tout s’est dégradé. Je les aimais, il faut bien le comprendre, j’aimais Shane et Diana et j’étais vraiment ravie pour eux. Sincèrement. Mais ils étaient tout le temps collés ensemble –d’accord, on l’avait toujours été mais là, c’était différent- Ash et moi, on n’avait plus l’impression de faire partie de leur bande. En fait, la bande n’existait plus. Garrett était parti, Shane et Diana n’avaient plus besoin de nous, pauvres adolescents, qui étions de trop dans leur monde parfait. Notre petit groupe, notre petite existence agréable, avait volé en morceaux. Bien sur, Ash et moi, on traînait toujours ensemble mais nos conversations se répétaient et la plupart du temps, on écoutait de la musique en fumant quelques cigarettes sans un mot. On voyait Shane et Diana de temps à autres mais ce n’était plus comme avant. La si belle harmonie que nous avions trouvée avait été brisée. Pour tout dire, je me sentais sacrément désespérée. La seule chose qui me permettait de tenir dans cette horrible ville venait de s’envoler.

C’est à ce moment-là que Romy est entrée dans ma vie. La première fois que j’ai vu Romy, la moitié du bahut avait les yeux fixés sur elle. A Dustwood, les nouveaux arrivants étaient rares. C’est pour dire notre surprise quand on a vu débarquer cette drôle de fille qui avait l’air très ordinaire. On s’était attendus à quelqu’un de spécial et il faut bien avouer que la réalité nous décevait un peu. Romy Hadley était tout ce qu’il y a de plus normal. Au début, je ne lui ai pas trop prêté attention, j’attendais surtout que tout ce tintamarre autour d’elle se calme. Au bout d’un mois, l’attrait de la nouveauté était passé et tout était redevenu exactement comme avant. C’était comme si Romy Hadley avait toujours été là. Je regrettais un peu que son arrivée n’ait rien changé, c’est vrai, mais je déplorais surtout son absence d’originalité. Elle s’était fondue dans la masse à une vitesse incroyable et ressemblait aux lycéennes types de Dustwood. Une brave petite fille sage dont les parents vantaient sûrement les mérites. Le genre de filles que mes parents auraient été ravis d’avoir. Malgré tout, je ne détestais pas Romy. Elle m’intriguait. Je savais que quelque chose d’intéressant se cachait derrière ses sentiments contenus et cette absence de réaction. Romy Hadley était toujours calme. On pouvait lui annoncer qu’on avait malencontreusement effacé notre partie de l’exposé qu’on était censé rendre avec elle le jour-même, elle ne s’énervait pas. Tout en elle était contrôlé et c’était bien ça qui gâchait son potentiel. Elle ne laissait pas libre court à ses sentiments ou à son imagination. Elle ne se laissait pas être elle-même. J’étais sans doute la seule à avoir compris le potentiel qu’avait cette fille. Et j’attendais avec impatiente le jour où elle laisserait enfin exploser la colère accumulée durant toutes ces années.

Et j’ai attendu longtemps. Très longtemps. J’ai cru que rien n’arriverait jamais et que je m’étais trompée sur elle. Pendant ces trois mois, Diana et Shane avaient rompu et ne pouvaient désormais plus se voir en peinture, ce qui compromettait nos dernières chances de reformer un jour la bande, Ash trainait avec Shane et Diana était devenue atrocement aigrie en ce qui concernait nos anciens amis. Honnêtement, je ne la supportais plus.
C’était un de ces jours où j’avais quitté particulièrement tard. J’avais été collée et le temps que je sorte, que je passe chercher un paquet de cigarettes, un bouquin, que j’avale un sandwich et que je m’enfile deux cafés –accro à la caféine, moi, vraiment ?- il faisait déjà nuit. Je commençais à rentrer quand j’ai aperçu une jolie fille attablée seule qui me disait vaguement quelque chose. J’aurais pu partir, ne pas m’occuper de ce visage qui m’avait intriguée, et reprendre simplement mes occupations là où elles en étaient restées. Mais c’était trop tentant. Le temps que je m’approche et que je reconnaisse Romy Hadley, il était trop tard pour faire demi-tour. Comme à son habitude, elle m’a adressé un sourire courtois, le genre de sourire hypocrite qu’elle faisait toujours, le genre de sourire que j’avais envie d’effacer de son si beau visage. « Tu t’emmerdes pas, toute seule, ici ? » Pas de réponse, nouveau sourire. « Sérieusement, tu trouves pas que Dustwood craint énormément ? » Encore un sourire. « Tu pourrais parler plus élégamment, tu ne crois pas ? » Elle avait dit ça sans se départir de son petit sourire. J’aurais très bien pu la planter là. Sincèrement, j’ai bien cru pendant un moment que c’est ce que j’allais faire. Mais je ne l’ai pas fait. A la place, j’ai pris Romy par la main et je l’ai entrainée dehors en courant. Ni elle ni moi n’avions réglé nos consommations mais ça n’avait que peu d’importance, à Dustwood, le patron du café savait très bien qui on était et combien on lui devait. Romy n’a pas décroché un mot. Elle n’avait rien dit quant au fait qu’on soit parties comme ça, rien dit quant au fait que nous ne nous connaissions pas et que je me permette tout de même des familiarités. Rien dit quant à sa main dans la mienne. Elle ne savait pas où je l’emmenais. Elle ne connaissait pas assez bien Dustwood pour repérer son chemin dans la nuit et de toute façon, j’étais certaine que l’endroit où je l’emmenais lui était parfaitement inconnu. De toute façon, il n’était que peu fréquenté et la nuit nous offrait une tranquillité sûre.
Quand nous sommes arrivées devant les grilles, je me suis retournée vers elle avec un sourire. « C’est fermé, tu sais » a-t-elle dit en me désignant les grilles. Cette fois-ci, c’est moi qui ai souri. « Je sais ça mademoiselle, mais je suis particulièrement douée pour escalader des trucs. » J’avais une grande cicatrice sur le genou droit pour le prouver. De toute façon, j’étais toujours pleine de griffures et d’égratignures. « Peut-être mais pas moi » a lancé Romy avec un ton suffisant. Nouveau sourire de ma part. « Je vais te faire la courte-échelle ». Pour la première fois depuis que je l’avais rencontrée, Romy Hadley a paru hésiter. « Non, vraiment, tu sais, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée ». Sourire. « Tais-toi idiote ». Je me suis baissée, je l’ai fait grimper sur mes épaules et elle s’est hissée jusqu’en haut de la grille avant de sauter de l’autre côté. Je l’ai rejointe en un rien de temps. Son éternel sourire avait disparu. Elle n’avait pas l’air stressée, ni ennuyée, simplement surprise. C’est sur qu’elle ne s’attendait définitivement pas à ça. « Euh, Enorah, tu as conscience qu’on est dans un cimetière là ? » Je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire face à sa question idiote. « T’en fais pas, je sais exactement où on est » j’ai répliqué. A nouveau, j’ai attrapé sa main et je l’ai entrainée à travers les tombes. « Dis Norah, pourquoi tu m’as emmenée là ? » a demandé Romy avec un air pensif. « Parce que je t’aime bien ». Elle m’a adressé un grand sourire. Ce n’était pas un de ses sourires habituels. Celui-là était réel, sincère. Magnifique. « J’aime bien venir ici les soirs » j’ai dit, encouragée par l’étincelle qui pétillait dans ses yeux, « J’adore cet endroit. C’est toujours calme, sans personne. Tu vas trouver ça bizarre mais je me sens bien ici ». Elle a hoché la tête. « En fait, je comprends tout-à-fait ce que tu ressens ». Je me suis étonnée de tant de spontanéité de sa part.
Nous nous sommes assises par terre, dans un coin d’herbe au milieu des tombes. J’ai sorti la flasque que j’avais toujours sur moi et je la lui ai tendue. Elle l’a refusée avec un sourire. « Je n’en ai pas besoin. Nous n’en avons pas besoin ». Elle s’est relevée, elle a étendu ses bras et s’est mise à tourner sur elle-même. « J’en ai assez d’être une fille parfaite ! J’en ai assez d’être élégante, bien élevée, sympa avec toutes ces poufs débiles que je déteste ! JE NE SUIS PAS PARFAITE, MERDE ! » Elle se défoulait, elle se débarrassait de toutes les mauvaises pensées qui lui encombraient l’esprit. Il a commencé à pleuvoir mais ni elle ni moi ne l’avons fait remarquer. Enfin calmée, elle s’est rassise à côté de moi. Elle a approché son visage du mien. Assez près pour que je puisse apprécier à leur juste valeur l’éclat de ses grands yeux, la splendeur de son sourire parfait, la courbe de son petit nez légèrement recourbé. Assez près pour que je puisse distinguer les gouttelettes accrochées à ses cils. Pas besoin d’être un génie pour deviner à quel point elle était jolie. Un sourire taquin est né sous mes yeux, sur son visage magnifique. « Tu sais sweetheart, ça fait longtemps que j’attendais la possibilité de faire ça ». Elle m’a interpellée. « Pourquoi tu ne l’as pas fait avant ? Je veux dire, tu n’avais pas besoin d’attendre que je t’invite dans un cimetière ». « Je voulais que ce soit spécial. Admets que tu le voulais aussi. » J’ai lentement acquiescé sans détourner mes yeux des siens. Nous savions toutes les deux ce qui allait se passer mais nous ne nous sommes pas précipitées. Nous profitions du moment. Enfin, je me suis penchée vers elle et j’ai posé mes lèvres sur les siennes. Notre chaste baiser s’est intensifié. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais vivante.
Nous n’avons pas couché ensemble ce soir-là, comme on aurait pu s’y attendre. Nous n’en avions pas besoin. Sentir le contact de sa main dans la mienne, étendues dans l’herbe haute, les yeux rivés sur les étoiles dont il nous semblait qu’on pouvait à présent saisir toute la beauté, c’était suffisant.

Après ça, Romy et moi sommes devenues officiellement le premier couple gay de Dustwood. Et les gens pouvaient bien parler de nous, honnêtement, nous nous en fichions. Parce que nous étions ensemble, ensemble contre eux tous. Etrangement, ça a semblé réveiller Shane, Diana et Ash qui ont réalisé combien nous nous étions éloignés quand ils ont su pour nous au même moment que tous les autres alors que quelques mois avant, ils l’auraient su avant tout le monde. On a recommencé à se parler, on était heureux. Bien sur, mes parents ont fait des histoires, un tas d’histoires, mais ils pouvaient dire ce qu’ils voulaient, ils ne m’avaient jamais prêté beaucoup d’attention et ce n’était pas aujourd’hui que ça allait changer.




« with a love like that, you know you should be glad »

A dix-huit ans, je quittais Dustwood, des rêves plein la tête, des promesses plein les yeux. J’avais décidé de partir pour l’étranger. Je partais vivre à Barcelone. Mes adieux avec Romy auraient pu être vraiment déchirants. Oh oui, ils l’auraient été si seulement il y en avait eu. Mais nous n’en voyions pas l’utilité. Pourquoi rompre, pourquoi détruire le si beau couple que nous formions ? Romy est partie avec moi et nous nous sommes installées à Barcelone. Nous ne pouvions avoir une plus belle vie. Certes, nous ne roulions pas sur l’or, Romy allait à la fac et bossait comme serveuse le soir pendant que je travaillais dans une librairie. Mais c’était suffisant, suffisant pour louer un appartement, pour nous payer de quoi manger, de quoi vivre. Nous étions heureuses. Et puis c’est arrivé.
Je me souviens de ce soir-là. J’étais allongée dans notre lit, trop paresseuse pour me lever. La fine silhouette de Romy se détachait dans l’obscurité. Même ainsi, fatiguée, les cheveux las, elle restait jolie. Elle s’est rapidement remaquillée, a attrapé son sac. « J’y vais amour. » Elle m’a envoyé un baiser avant de quitter la pièce. Je ne l’ai même pas embrassée, je ne lui ai même pas dit combien j’aurais préféré qu’elle reste, je ne lui ai même pas rappelé combien je l’aimais. C’était la dernière fois que je la voyais vivante.




« J’étais possédé par un démon et je vivais dans un éternel enfer. »

Après ça, ma vie est devenue vachement plus merdique. On ne peut pas dire que j’étais toujours quelqu’un de bien et ma consommation d’alcool a vachement augmenté. Etonnant, me direz-vous. Je dois avouer que je ne suis pas très fière de cette période de ma vie. J’ai fait pas mal de bêtises, je le reconnais, et je n’étais pas de meilleure compagnie. Dans le genre salope, je faisais fort. Et puis, Eliaz est arrivé. Je me souviens encore du jour où je l’ai rencontré. Je l’ai envoyé bouler tout de suite mais il a continué à me harceler et j’ai fini par écouter ce qu’il avait à me dire. Il pensait que je valais mieux que ça, que je devais faire quelque chose de ma vie. Ca a été le déclic.

Après ça, j’ai travaillé dans l’humanitaire. Je savais que je devais quelque chose à Eliaz et je ne pouvais pas faire comme si rien de son discours ne m’avait jamais touchée. Je n’avais plus de raison de vivre, il m’en fallait une. J’ai commencé à travailler dans des associations, puis je suis partie en Afrique. Aider les gens, c’est ce qui me correspondait vraiment. J’ai donné des cours à des enfants pendant un moment avant de rentrer. J’avais dans l’intention de repartir après avoir revu Eliaz et avoir posé quelques affaires mais l’expérience ratée de la NASA est arrivée et je me suis retrouvée dans l’univers ALPHA.

J’ai détesté ça. Je n’aime pas cet univers. Je ne suis pas à ma place, nous, considérés comme des doubles, nous sommes surveillés et on nous empêche d’aller où on voudrait. Je ne peux repartir en Afrique et je me coltine une vie dont je n’ai jamais voulu. J’aurais pu en profiter pour revoir mes parents mais à quoi bon ? Ce n’étaient même pas vraiment les miens et s’ils étaient aussi sympathiques que dans mon univers, le déplacement n’en valait pas la peine. Pour tout dire, cette histoire de doppelgängers me perturbe. L’idée d’avoir un double quelque part dans le monde, ça ne m’amuse pas tellement. Voir la vie que je pourrais avoir si j’avais fait des choix différents, ce n’est pas le genre de trucs que j’apprécie. Parce que ça n’apporte que des regrets. Donc loin de moi l’idée de la rencontrer. Ayant entrepris de ne voir personne, on aurait pu me considérer comme sauvée. Sauf que la malchance m’a fait sortir ce jour-là, premier jour maudit de ma nouvelle mélancolie.

J’étais partie me dégourdir les jambes, fatiguée de rester enfermée devant la télévision. Je me promenais sans but, laissais mes jambes me portaient là où elles le voulaient. Je ne faisais pas particulièrement attention aux routes que je prenais, ça m’importait peu. Je pouvais bien me perdre, quelle importance ? Je me remémorais les vers du Léthé de Baudelaire quand je l’ai vue. Mon cœur a bondi si fort que j’ai cru qu’il allait s’arracher de ma poitrine. Je connaissais ces traits par cœur. Sans que j’eus l’impression de faire le moindre geste, je l’ai suivie à travers la foule si nombreuse que j’aurais pu la perdre si elle n’avait pas été si profondément ancrée en moi. Dans un dernier sursaut de conscience, j’ai su que je faisais le mauvais choix. Mais j’ai réalisé que je m’en moquais. Je ne pouvais pas pardonner à cette fille d’être vivante alors que ma Romy était morte.